Episodes

  • Que la vie en vaut la peine (Louis Aragon)
    Feb 21 2025

    C'est une chose étrange à la fin que le monde
    Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
    Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
    La nuit immense et noire aux déchirures blondes.
    Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
    D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
    Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
    Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.
    D'autres qui referont comme moi le voyage
    D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
    Qui se retourneront pour leur nom murmuré
    D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.
    II y aura toujours un couple frémissant
    Pour qui ce matin-là sera l'aube première
    II y aura toujours l'eau le vent la lumière
    Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.
    C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
    Cette peur de mourir que les gens ont en eux
    Comme si ce n'était pas assez merveilleux
    Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.
    Oui je sais cela peut sembler court un moment
    Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
    Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
    Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.
    Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
    Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
    Cet impossible choix d'être et d'avoir été
    Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.
    Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
    Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
    L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
    Porté comme un enfant volé toute ma vie.
    Malgré la méchanceté des gens et les rires
    Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
    Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
    De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.
    Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
    Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
    Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
    Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.
    Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
    L'entourage prêt à tout croire à donner tort
    Indifférent à cette chose qui vous mord
    Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.
    La cruauté générale et les saloperies
    Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
    Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
    Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.
    Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
    Les séparations les deuils les camouflets
    Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
    De toute sa croyance imbécile à l'azur.
    Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
    Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
    N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

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    4 mins
  • Je t’aime (Paul Eluard)
    Feb 18 2025

    Je t’aime pour toutes les femmes
    Que je n’ai pas connues
    Je t’aime pour tout le temps
    Où je n’ai pas vécu
    Pour l’odeur du grand large
    Et l’odeur du pain chaud
    Pour la neige qui fond
    Pour les premières fleurs
    Pour les animaux purs
    Que l’homme n’effraie pas
    Je t’aime pour aimer
    Je t’aime pour toutes les femmes
    Que je n’aime pas

    Qui me reflète sinon toi-même
    Je me vois si peu
    Sans toi je ne vois rien
    Qu’une étendue déserte
    Entre autrefois et aujourd’hui
    Il y a eu toutes ces morts
    Que j’ai franchies
    Sur de la paille
    Je n’ai pas pu percer
    Le mur de mon miroir
    Il m’a fallu apprendre
    Mot par mot la vie
    Comme on oublie

    Je t’aime pour ta sagesse
    Qui n’est pas la mienne
    Pour la santé je t’aime
    Contre tout ce qui n’est qu’illusion
    Pour ce cœur immortel
    Que je ne détiens pas
    Que tu crois être le doute
    Et tu n’es que raison
    Tu es le grand soleil
    Qui me monte à la tête
    Quand je suis sûr de moi
    Quand je suis sûr de moi

    Tu es le grand soleil
    Qui me monte à la tête
    Quand je suis sûr de moi
    Quand je suis sûr de moi

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    2 mins
  • À Vénus (Joachim du Bellay)
    Jan 28 2025

    Ayant après long désir

    Pris de ma douce ennemie
    Quelques arrhes du plaisir,
    Que sa rigueur me dénie,
    Je t’offre ces beaux oeillets,
    Vénus, je t’offre ces roses,
    Dont les boutons vermeillets
    Imitent les lèvres closes
    Que j’ai baisé par trois fois,
    Marchant tout beau dessous l’ombre
    De ce buisson que tu vois
    Et n’ai su passer ce nombre,
    Parce que la mère était
    Auprès de là, ce me semble,
    Laquelle, nous aguettait
    De peur encores j’en tremble.
    Or’ je te donne des fleurs
    Mais si tu fais ma rebelle
    Autant piteuse à mes pleurs,
    Comme à mes yeux elle est belle,
    Un myrthe je dédierai
    Dessus les rives de Loire,
    Et sur l’écorce écrirai
    Ces quatre vers à ta gloire
    « Thénot sur ce bord ici,
    A Vénus sacre et ordonne
    Ce myrthe et lui donne aussi
    Ses troupeaux et sa personne. »

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    1 min
  • Beau soir d’hiver (Jules Breton)
    Jan 20 2025

    La neige – le pays en est tout recouvert –
    Déroule, mer sans fin, sa nappe froide et vierge,
    Et, du fond des remous, à l’horizon désert,
    Par des vibrations d’azur tendre et d’or vert,
    Dans l’éblouissement, la pleine lune émerge.

    A l’Occident s’endort le radieux soleil,
    Dans l’espace allumant les derniers feux qu’il darde
    A travers les vapeurs de son divin sommeil,
    Et la lune tressaille à son baiser vermeil
    Et, la face rougie et ronde, le regarde.

    Et la neige scintille, et sa blancheur de lis
    Se teinte sous le flux enflammé qui l’arrose.
    L’ombre de ses replis a des pâleurs d’iris,
    Et, comme si neigeaient tous les avrils fleuris,
    Sourit la plaine immense ineffablement rose.

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    1 min
  • Ô longs désirs, ô espérances vaines (Louise Labé)
    Jan 13 2025

    Ô longs désirs, ô espérances vaines,
    Tristes soupirs et larmes coutumières
    A engendrer de moi maintes rivières,
    Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

    Ô cruautés, ô durtés inhumaines,
    Piteux regards des célestes lumières,
    Du coeur transi ô passions premières,
    Estimez-vous croître encore mes peines ?

    Qu’encor Amour sur moi son arc essaie,
    Que nouveaux feux me jette et nouveaux dards,
    Qu’il se dépite, et pis qu’il pourra fasse :

    Car je suis tant navrée en toutes parts
    Que plus en moi une nouvelle plaie,
    Pour m’empirer, ne pourrait trouver place.

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    1 min
  • A celle que j’aime (Nérée Beauchemin)
    Jan 9 2025

    Dans ta mémoire immortelle,
    Comme dans le reposoir
    D’une divine chapelle,
    Pour celui qui t’est fidèle,
    Garde l’amour et l’espoir.

    Garde l’amour qui m’enivre,
    L’amour qui nous fait rêver ;
    Garde l’espoir qui fait vivre ;
    Garde la foi qui délivre,
    La foi qui nous doit sauver.

    L’espoir, c’est de la lumière,
    L’amour, c’est une liqueur,
    Et la foi, c’est la prière.
    Mets ces trésors, ma très chère,
    Au plus profond de ton coeur.

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    1 min
  • Allégorie (Charles Baudelaire)
    Jan 8 2025

    C’est une femme belle et de riche encolure,
    Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
    Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,
    Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.
    Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
    Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
    Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
    De ce corps ferme et droit la rude majesté.
    Elle marche en déesse et repose en sultane ;
    Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
    Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
    Elle appelle des yeux la race des humains.
    Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
    Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
    Que la beauté du corps est un sublime don
    Qui de toute infamie arrache le pardon.
    Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,
    Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,
    Elle regardera la face de la Mort,
    Ainsi qu’un nouveau-né, — sans haine et sans remord.

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    2 mins
  • 1909 (Guillaume Apollinaire)
    Jan 7 2025

    La dame avait une robe
    En ottoman violine
    Et sa tunique brodée d’or
    Était composée de deux panneaux
    S’attachant sur l’épaule

    Les yeux dansants comme des anges
    Elle riait elle riait
    Elle avait un visage aux couleurs de France
    Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges
    Elle avait un visage aux couleurs de France

    Elle était décolletée en rond
    Et coiffée à la Récamier
    Avec de beaux bras nus

    N’entendra-t-on jamais sonner minuit

    La dame en robe d’ottoman violine
    Et en tunique brodée d’or
    Décolletée en rond
    Promenait ses boucles
    Son bandeau d’or
    Et traînait ses petits souliers à boucles

    Elle était si belle
    Que tu n’aurais pas osé l’aimer

    J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
    Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
    Le fer était leur sang la flamme leur cerveau

    J’aimais j’aimais le peuple habile des machines
    Le luxe et la beauté ne sont que son écume
    Cette femme était si belle
    Qu’elle me faisait peur

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    2 mins